Poème en prose pour François Cheng & Jean Marie
Ici, à Fondettes, lieu de calme étal après la tempête, je suis né avec toi.
Au début, tu n’étais qu’une plateforme au fond de la nef. Un avant-poste du Ciel vers lequel on montait par un escalier de métal. Quoi de plus normal que pour s’élever le coeur ainsi colimaçonne ? Or, cet espace était vide. Ce vide (et ces voix-là, qu’on devinait célestes ou féeriques, ardentes et silencieuses) appelait le plein. Le vide, il en faut pour faire place nette, permettre à nos vies, à nos rêves de croître et de prospérer.
Nombre de femmes et d’hommes s’étaient penchés sur ton berceau. Assez pour croire en toi jusqu’au bout. Mais leur volonté — fût-elle étroitement forgée, et marchât-elle déjà de concert — ne suffit pas. Il fallut finalement une sorte de miracle, cette part divine pour que l’improbable, voire l’impossible acquiesce, qu’il existe et se dresse, corps et souffle, au milieu de nous.
Un dimanche, tu es apparu tout entier : jeux, buffet, tuyaux… Ton haut buste creusé pour laisser passer la lumière. Depuis, tu ne cesses de nous soutenir dans nos prières, de les accompagner vers le Père.
En t’écoutant, nous entrons en résonance avec nous-même. Il n’est jusqu’au moindre de nos os qui ne vibre. Et nous voici, marchant à l’unisson sur des chemins de joie, touchant à des terres inconnues, à des accords inexplorés, riches soudain d’une chaleur insigne, un choeur profond qui vous éveille au plus intime avec la force d’un souvenir terriblement familier. Naissance et reconnaissance. Au tréfonds de notre âme, tu sais rendre visible l’invisible, donner à nos chants des airs d’océan.
Grâce à toi, il me semble discerner chaque jour davantage pourquoi, en français, les mots amours, délices et orgues sonnent, sous leur forme plurielle, toujours plus yin que yang. L’autre façon, si divinement simple, d’associer puissance et douceur.
Frédéric Ohlen (poète et romancier français)
Janvier 2025